4 mois à Sancellemoz


AUBERT PECHON



SOMMAIRE

L'accident…………………………………………………………………………………p 3

Mon arrivée à Sancellemoz……………………………………………………………….p 4

L'espace fumeurs………………………………………………………………………….p 5

Le hall d'entrée…………………………………………………………………………….p 5

Le restaurant……………………………………………………………………………….p 6

Trois mois en fauteuil roulant……………………………...……………………………….p 7

La kiné……………………………………………………………………………………...p 8

Les chambres……………………………………………………………………………….p 9

Le sixième étage ou les soins déshumanisés……………………………………………….p 10

La bibliothèque…………………………………………………………………..…………p 12

Conclusion………………………………………………………………………………….p 13






L’accident

Par un bel après midi d’été, je décide d’aller me promener au sommet des Grands Montets, dans le massif du Mont Blanc. Ce n’est qu’une simple promenade ayant pour but d’admirer le paysage, mais j’emporte tout de même des vêtements chauds ; on ne sait jamais ce que la Montagne nous réserve…
La cabine du téléphérique qui m’emporte vers le sommet est à moitié remplie ; il y a quelques couples, avec ou sans enfant, un groupe d’amis, des retraités. Pas beaucoup de monde donc, pour cette chaude journée ensoleillée du mois d’août. Il est vrai que nous ne sommes pas à Chamonix, la « Capitale » du Mont Blanc, mais nous n’en sommes distants que d’une quinzaine de kilomètres. Mais c’est ainsi ; des dizaines d’autocars s’arrêtent chaque jour à Chamonix, alors qu’aux alentours, les sites sont tout aussi beaux et dignes d’être visités, mais ils attirent moins de visiteurs.

Les mystères de la communication sont impénétrables…

Trois alpinistes profitent également du beau temps pour effectuer une course dans le massif ; ils sont équipés de cordes, de crampons, de piolets, ils parlent de dénivelée, des sommets environnants, de la météo, extrêmement clémente aujourd’hui, mais qui, en montagne, peut toujours changer… Il n’y a pas de doute, ce sont de vrais pros !

A la sortie du téléphérique, je suis l’itinéraire touristique classique, qui me mène, par des escaliers assez escarpés, à une terrasse garnie de tables d’orientations. Le spectacle est au rendez-vous ; la Montagne Ensoleillée brille de tous ses feux...le toit de l’Europe est là, sous mes yeux, avec son fameux dôme, culminant à 4810 mètres d’altitude.
Les hauts sommets enneigés se détachent sur le ciel d'un bleu intense. Pas un nuage pour troubler cette harmonie…Rien que la blancheur de la neige et le gris des rochers.
Plus de mille mètres plus bas, on aperçoit, plus qu'on ne voit réellement, la Mer de Glace, le plus grand glacier de France (40 km²), qui descend en droite ligne du Mont Blanc.
Nous sommes à 3200 mètres d'altitude, pourtant il fait chaud…enfin, au soleil, car à l'ombre il fait beaucoup plus frais, et l'on doit rapidement remettre le pull. L'endroit n'est pas très fréquenté, tant mieux, on profite davantage du paysage !
Il est encore tôt quand je quitte, presque à regrets, ce fabuleux spectacle. Le soleil brille toujours autant, et je n’ai pas envie de redescendre dans l’immédiat. Aussi, bien que n’étant pas équipé pour cela, j’emprunte la sortie réservée aux alpinistes.

Je n’aurais peut-être pas dû…

Au début tout se passe bien, je marche sur le glacier en me contentant de suivre sagement des traces existantes. Dans un premier temps, je me hisse sur un amas rocheux, où je découvre des photos souvenir dédiées à deux jeunes alpinistes morts en montagne, vraisemblablement aux "Grands Montets". Ces jeunes gens ont l'air heureux, insouciants; cela me fait prendre conscience de la fragilité de l'existence face à ces énormes masses rocheuses et glaciaires, tellement fascinantes par ailleurs.

De mon perchoir, je peux observer les cordées d'alpinistes venant des hauts sommets avoisinants. Ils redescendent vers la vallée de Chamonix par le téléphérique. Il est en effet beaucoup moins intéressant, et beaucoup plus dangereux, pour un alpiniste de descendre, plutôt que de monter. En les observants, je distingue rapidement les alpinistes chevronnés, ceux, plus ou moins expérimentés qui réalisent des courses entre amis. Il y a aussi les guides de Haute Montagne qui accompagnent leurs clients ; ces derniers se reconnaissent aisément à leur démarche moins assurée, et souvent lasse à la fin d’une course !

Et puis, je redescends à mon tour vers le téléphérique. Je discute un instant avec les membres d'une cordée qui se débarrassent de leur matériel, mais au moment de reprendre le chemin du retour, brusquement, je bifurque vers d'autres traces, vers un autre destin…

Je longe une crevasse assez impressionnante, je m’arrête un instant pour instant pour en jauger la profondeur. Celle-ci doit être importante, car je ne vois pas le fond, je continue…je me sens en sécurité tant que je reste dans le chemin. Je m'éloigne alors de plus en plus de la trace "protectrice", et puis je revois la Mer de Glace…je décide alors de rejoindre ce nouveau but.

Avec le recul, je réalise mon inconscience, mais sur le moment, j’avais soif de découvertes. Je m’éloigne de plus en plus du téléphérique, mais cela ne m’effraie pas. De toutes façons je ne pense déjà plus à rentrer. Je suis seul, personne ne m’attend, je peux donc prendre tous les risques que je veux sans nuire à quiquonque. C’est d’ailleurs ce que je fais sans véritablement en prendre conscience.

La pente devient alors de plus en plus raide. Je cherche à contourner les passages les plus escarpés, mais peine perdue, je ne réussis qu’à me faire quelques belles frayeurs à travers les rochers instables, dans des pentes vertigineuses !

Quand je me décide enfin à faire demi-tour, je réalise qu’il est trop tard pour reprendre le téléphérique; je vais donc passer une nuit à la belle étoile. Mais bizarrement, cela ne m’effraie pas ; une nuit face au Mont Blanc, cela aurait plutôt tendance à m’exciter…

Pour le moment, je cherche un endroit où passer la nuit ; un endroit plat, ou presque, où je pourrai dormir…Sur ce dernier point, je dois rapidement déchanter ; en effet, si je trouve assez facilement un large rocher, relativement plat, je n’y suis pas stable pour autant. Je dois donc me résoudre à passer une nuit blanche.

Environ dix minutes plus tard, l'obscurité commence à envelopper la montagne environnante…il était vraiment temps que je m'arrête.

Je n'ai pas tellement faim; heureusement, car je n'ai rien à manger. J'essaie de m'installer le plus confortablement possible pour la nuit, mais sur un rocher, ce n'est pas évident. Mes pieds sont trempés, à force d'avoir marché sur le glacier et sur les névés; je décide alors malgré le froid, de me déchausser et de me masser les pieds. Je ne risque pas de gelure, mais quand même, il faut mieux rétablir la circulation du sang. Dans le fond de mon sac à dos, il me reste un petit gilet d'été; j'y enveloppe mes pieds, et les mets ainsi dans mon sac à dos, relativement à l'abri du froid. Par contre, ce que je gagne en chaleur, je le perds en équilibre. En effet, j'ai les deux pieds "dans le même sabot", je suis assez instable…

En repartant le lendemain matin, à jeun depuis la veille, je reprends mon ascension vers le glacier; il me faut escalader des dizaines de mètres de rochers, je me fatigue extrêmement vite...

C'est alors que j'entrevois un passage plus facile, mais pour cela, il me faut franchir un névé, gelé qui plus est, ce que je décide de faire…sur les fesses ! Je dois alors descendre trois ou quatre mètres, et arriver tranquillement sur un îlot rocheux ; mais cela ne se passe pas comme prévu…

Non seulement je n'atteints pas l'endroit voulu, mais je prends de plus en plus de vitesse. Je n’ai pas vraiment peur ; certes, je me demande comment tout cela va finir. Les îlots rocheux que je traverse, et qui me labourent le corps, me freinent. J’ai ainsi plusieurs fois l’espoir de m’arrêter…et je finis effectivement par le faire, et heureusement pour moi, car le prochain arrêt, c’était la fameuse « Mer de Glace », après quelques mille mètres de chute libre !

Mais reprenons plutôt le cours des évènements…

J’ai les bras et les jambes écartés pour essayer de me raccrocher à quelque chose. Sur le névé, c’est quasiment impossible, et d’ailleurs, je ne m’arrête pas. Et puis mon pied gauche heurte un rocher, mais il le heurte tellement violemment, le rocher est si gros, si bien ancré dans le sol, que je m’arrête net.

Je ressens alors une vive douleur au pied gauche; j'apprendrai plus tard, que je me suis fracturé le talon.

Heureusement, un guide de haute montagne passe par là avec une de ses clientes. Il appelle rapidement les secours, quant à moi, je réalise avec une certaine amertume que mon aventure s'arrête ici (amertume teintée d'une pointe de satisfaction, car je commençais à me demander comment j'allais m'en sortir).

Bientôt, un hélicoptère apparaît; il dépose dans un premier temps des sauveteurs et un matelas coquille, qui servira à me transporter en toute sécurité jusque dans l'hélicoptère. Je suis alors pris en charge par les sauveteurs. Ils me demandent ce qui m'est arrivé, où j'ai mal; bref, ils me réconfortent. Tout en discutant, ils m'arriment au matelas coquille, et y accrochent un cable, pour que je sois transporté dans l'hélicoptère, puis vers l'hôpital de Chamonix. Après m'avoir prodigué les premiers soins, il est décidé de m'évacuer vers l'hôpital de Sallanches.

Je me souviens alors que juste avant de reprendre un hélicoptère pour Sallanches, je reste quelques minutes sur mon brancard, au soleil, le chaud soleil estival qui est à l'origine de toute l'histoire...

Après une dizaine de jours à l'hôpital, mon état de santé devenant stationnaire, je fus envoyé à Sancellemoz, établissement de repos et de rééducation, où j'effectuais un séjour de 4 mois et demi.

Mon arrivée à Sancellemoz

Il s’agit d’un grand bâtiment de sept étages édifié à la fin du XIXème siècle, qui a accueilli Marie Curie, née en 1867 et morte dans ce centre (chambre 424), en 1934. Cet immeuble fait un peu penser à une "barre" de H.L.M., ce qui n’a rien d’engageant !
A mon arrivée, je hasardais un "c'est là ?" aux ambulanciers, tout en devinant la réponse ; hélas oui, c'était bien là.

Par la suite, je me suis habitué à ce lieu, que j’ai appris à apprécier mais n’anticipons pas…
L’ambulance pénétra dans le bâtiment par un sas couvert, qui permet de sortir les malades des véhicules à l’abri, en cas d’intempéries, ce qui arrivait relativement souvent. Juché sur un brancard roulant, je pénétrais en compagnie des ambulanciers dans un vaste hall.
Après les formalités d’usage pour mon admission, ceux-ci me conduisirent vers l’un des deux vastes ascenseurs, puis, vers ma future chambre, au quatrième étage.

Etant arrivé vers onze heures, le déjeuner m’est apporté quasiment tout de suite ; en effet, on mange tôt à Sancellemoz !
Je crois bien que c'est également au cours de cette première journée, que j’ai vu autant de monde défiler dans ma chambre.
Après la personne qui m’a apporté le plateau repas, l’infirmière de l’étage vint s’enquérir de mes malheurs. Plus tard, ce fut un aide soignant qui me rangea sympathiquement mes affaires dans l’armoire de ma chambre (n’ayant pas encore de fauteuil roulant, j’étais alors cloué sur mon lit). Comme cet aide soignant s'intéressait à la montagne, je lui racontai par le menu ma mésaventure alpestre.
Ensuite, un brancardier m’apporta (enfin !) un fauteuil roulant et un déambulateur, mais il me précisa également que je ne devais pas quitter ma chambre avant d’avoir vu le médecin !
Bon, je repris donc mon attente là où je l’avais laissée… Ce n’est que vers 17 heures que le médecin daigna enfin venir me voir. Ce fut pour me dire que je n’aurai pas l’appui sur mon pied blessé pendant trois mois, et pour me présenter mon kinésithérapeute, qui ne me ferait que de simples massages du pied, pendant ce laps de temps.
Vers 18 heures, je pus enfin quitter ma chambre, après sept heures de patience. Je compris plus tard que si les malades étaient appelés patients, c’est qu’ils auraient à patienter…

J'allais enfin découvrir le petit monde de Sancellemoz…

Je quittais ma chambre en compagnie du kiné, qui m'indiqua où se trouvais l'espace de kinésithérapie, au premier étage, où je devrais désormais me rendre chaque jour.
Je descendis alors au rez de chaussée, car l'heure du dîner approchait. J'arrivais alors dans le vaste hall de la maison, desservi par deux vastes ascenseurs. Leur particularité était de s'arrêter à tous les étages.
Ainsi, en semaine, un ascenseur mettait de cinq à dix minutes pour descendre du sixième étage au rez de chaussée. A cette heure, il pouvait s'arrêter trois fois à votre étage, plein à craquer, ce qui faisait qu'avec l'attente, il fallait bien vingt minutes pour descendre !

Il faut dire que deux ascenseurs pour environ deux cents patients, plus le personnel, plus les ambulanciers, qui prennent toute la place avec leur brancard, c'est un peu juste ! Certes, il y avait un autre ascenseur mais qui n'était pas beaucoup utilisé, car il ne reliait que le rez de chaussée et le premier étage. Deux ascenseurs plus petits étaient réservés au personnel…qui ne pouvaient pas les utiliser quand ils transportaient des chariots encombrants, ou des malades en fauteuil roulant.
Une pancarte insinuait que ces malades étaient des "charges roulantes". En effet, elle disait ceci:
" Si des charges roulantes sont introduites dans la cabine, leur maintien doit être assuré "…

L'espace fumeurs

Le sas couvert, par lequel les ambulances pénètrent dans l'établissement, sert aussi d'espace fumeurs". Un imposant cendrier y trône d'ailleurs en bonne place, consciencieusement garni de mégots par les intoxiqués de tout poil !

Après le repas du soir, c'est LE rendez-vous des fumeurs, et de quelques non-fumeurs dont je faisais partie. En effet, cet endroit fait office de "dernier salon où l'on cause", bien que cela ne fut pas une pièce, On y refaisait le monde, si le monde était d'accord, et plus particulièrement le petit monde de Sancellemoz…

Cependant on le refaisait vite car il faisait froid, j'écris ces lignes en hiver, de plus, l'un des veilleurs de nuit (ils étaient trois à se relayer), ouvrait régulièrement la porte en grand, pour chasser les odeurs de cigarettes, et les fumeurs par la même occasion !

Le hall d'entrée

C'est la "vitrine" de Sancellemoz, ce que l'on voit en premier de la maison lors de son arrivée, généralement sur un brancard, comme ce fut mon cas. Il était assez impressionnant de voir les ascenseurs déverser leur cargaison humaine aux heures des repas ; le hall pouvait ainsi passer d'une dizaine à une centaine de personnes en un quart d'heure ! Au début, cela étonne et puis on s'y fait, et on va grossir la "cargaison".
Ainsi, deux fois par jour, le hall devenait LE lieu de rencontres le plus important de la maison.

L'accueil se trouve également aurez de chaussée, où de charmantes secrétaires s'occupent des formalités, et autres joyeusetés administratives. Elles s'occupent également de vous faire la conversation quand elles ne sont pas trop stressées par leur travail, ce qui arrivait relativement souvent.

A côté de l'accueil se trouve le bureau du personnel, ainsi que le service comptabilité. Il n'y a que des femmes dans ce service ; y aurait-il un rapport entre les femmes et l'argent ?
Il y a également une salle de spectacles…enfin, si l'on peut appeler spectacle une projection vidéo ? Si oui, alors c'en est bien une, bien qu'elle ne fasse guère plus de 100 m2.
La messe y est célébrée le samedi matin, elle rassemble une trentaine de personnes, mais à part ces deux "événements" hebdomadaires, il n'y a jamais plus de dix personnes en même temps dans cette salle. En face de celle-ci se trouve un deuxième salon de télévision, qui donne accès à l'atelier de travaux manuels. Là, il est possible de s'adonner aux joies de la peinture sur soie, de la pyrogravure, et autres joyeusetés qui transforme de simples patients en artistes accomplis !
Cette pièce fait également office de boutique, mais comme elle n'est ouverte qu'une quinzaine d'heures par semaine, il faut bien enregistrer les horaires; en effet, si vous êtes bloqué sur un fauteuil roulant, vous pouvez difficilement sortir du centre, à moins d'être accompagné.
Malgré cela il faut bien faire les quelques achats que nécessite la vie quotidienne.

Au bout du couloir, il y a la kiné respiratoire, où se soignent les personnes asthmatiques, ainsi que tous ceux qui avaient des problèmes respiratoires.

De l'autre côté, se trouve le bureau de l'assistante sociale, qui se fait une joie de démêler vos problèmes administratifs. Attention toutefois, à ne pas lui téléphoner, non, il fallait venir prendre rendez-vous à son bureau. En théorie, c'était facile, il suffisait d'y aller mais en pratique, c'était plus compliqué ; en effet, cette dame souffrait d'une double pathologie : la réunionnite aiguë, et un manque de ponctualité chronique. Cette dernière affection pouvait difficilement se faire soigner par les médecins de l'établissement, car ils en étaient eux-mêmes atteints !

Le restaurant

C'est, de loin, le plus grand espace du rez de chaussée, voire la maison tout entière. Pompeusement appelé "restaurant" par le personnel de l'établissement, je qualifierai plutôt cet endroit de cantine ; la nourriture servie y étant correcte mais sans plus. Mais bon, il y avait quand même près de deux cents personnes à servir deux fois par jour, alors…

C'est LE lieu de vie de Sancellemoz ; on n'y passait pas plus d'une heure et demie à deux heures par jour, mais les repas, c'est cela qui rythme les journées des pensionnaires.Mais, si la nourriture était correcte, il fallait en tout cas aimer les légumes, car crus ou cuits, ils sont servis à toutes les sauces !


Trois mois en fauteuil roulant

Au sortir de mon opération, et donc pendant 3 mois, je ne me suis déplacé qu'en fauteuil roulant. Cela ne m'a pas posé de problème particulier; en effet, ce centre est très bien équipé pour les handicapés. D'autre part, je n'étais pas très stable avec des béquilles ou un déambulateur.

Ce qui m'a surtout frappé au début de mon séjour, c'est que les personnes en fauteuil roulant ne sont pas cataloguées d'entrée "handicapées".

Toutefois, les personnes souffrant de lourdes pathologies sont tout de même infantilisés; le personnel soignant leur parle plus fort qu'aux autres, et/ou décompose son discours. Leur famille, ainsi que les autres patients y sont également pour beaucoup, en parlant à leur place, souvent en leur présence, d'ailleurs.

Pendant mon séjour, il m'est arrivé à de nombreuses reprises de discuter avec ces grands handicapés. La tentation est grande, il est vrai, de se croire supérieurs à eux et de compatir à leurs malheurs.
Je pense alors qu'il faut discuter tout simplement avec eux comme avec n'importe qui.A présent que je suis sorti de ce centre de rééducation, et que je pense à ceux qui sont restés là-bas, je mesure la chance que j’ai de pouvoir remarcher, chose que certains de mes ex compagnons ne feront peut-être jamais…

Cela part sûrement d’un bon sentiment, je n’en doute pas mais je pense que cela contribue à l’infantilisation de ces personnes qui doivent se sentir bien seules dans ces moments là . quand à ceux qui ne peuvent pas s’exprimer correctement, je pense que ce sont ceux-là qui sont le plus à plaindre; mais là, c'est moi qui me met à parler à leur place…

La kiné

Au premier étage se trouve aussi la majeure partie des bureaux des médecins, le secrétariat médical, avec des secrétaires un peu "particulières" ; elles vous regardent sans vous voir. (à moins qu'elles ne vous voient sans vous regarder !) Enfin, cela doit être une constante chez elles comme chez la majeure partie des membres du personnel, d’ailleurs.

Au bout d'un long couloir couvert, se trouve l'espace de kinésithérapie, il est composé d'un grand gymnase, garni d'une quinzaine de tables de massage. Une vingtaine de kinésithérapeutes y travaillent. Dans deux salles plus petites, plus au calme, on rééduque des patients ayant des affections assez graves, nécessitant des appareillages spécifiques.
A côté du gymnase, se trouve une petite piscine de rééducation ; je dis bien "petite", car lorsqu'il y a une dizaine de personnes dans l'eau, c'est la foule ! Il faut alors s'organiser pour faire ses exercices correctement…en ce qui me concerne, je devais principalement marcher dans la piscine. Ainsi, certains jours "d'affluence", il ne me restait plus qu'à tourner en rond, et à essayer de venir quand il y aurait moins de monde !
Cette piscine n'a pas été creusée dans le sol, mais elle a été installée SUR le sol ; pour y entrer, il faut d'abord monter un petit escalier, et descendre ensuite dans l'eau. Il existe un dispositif existe à l'usage des personnes ne pouvant pas emprunter l'escalier : une chaise orthopédique qui les soulèvent et les descend dans l'eau par un système électrique.

La kiné, c'est un peu la raison d’être de Sancellemoz ; on y vient d'abord pour la rééducation. Tous les pensionnaires y vont donc tous, plus ou moins, chaque jour. Ainsi, lorsque l'on veut faire la connaissance d'une nouvelle personne, on lui demande d'abord ce qu'il (ou elle) a eu comme problème de santé, ou comme accident. La vie professionnelle, la famille, les amis, cela vient après, si l'on s'apprécie.

La kiné, c'est l'endroit où l'on peut discuter sans trop s'engager.
Il y a un appareil, où, spontanément, les langues se délient ; c'était le "COMPEX", ou électro-stimulateur. C'est un appareil qui stimule électriquement les muscles d'un membre provisoirement, au repos. La plupart des gens l'utilisent sur les cuisses, mais certains stimulent également les muscles d'une épaule avec.

En ce qui me concerne, je qualifierai cet appareil "d'engin diabolique" ; en effet, après trois mois d'utilisation, je n'arrivais toujours pas à me brancher correctement: connecter les bons fils sur les bonnes électrodes, ne pas me mettre trop de gel sur les cuisses (pour la conduction du courant).
Cet appareil a, selon moi, un rôle social non négligeable : celui de "faire parler" ; comme les kinés ont des réponses plus ou moins évasives quand on leur demande des conseils, il faut bien s'entraider entre patients. Peut-être était-ce fait exprès…en tout cas, ça au moins ça fonctionne...

En donnant des conseils ou en en recevant, on peut ainsi discuter avec des nouvelles personnes, ou avec des plus anciennes, voire même avec des kinés, autres que ceux sont sensés s'occuper de vous ! Bref, pendant que je m'astreignais à me brancher correctement et que je discutais, j'en oubliais l'heure ! Je disposais théoriquement de trente minutes pour effectuer cet exercice, et mon record de branchement était de quarante minutes…plusieurs fois, alors que j'avais à peine fini de me brancher, mon kiné est venu me chercher pour mon massage quotidien du pied. Dans ces moments là, je me sentais très seul … Une quinzaine de jours avant mon départ, j'ai eu droit à des électrodes autocollantes, ce qui a eu pour principal intérêt d'éviter de me mettre du gel partout ! Je devais alors les brancher sur mon mollet pour stimuler mon pied blessé ; cela fonctionnait bien, car mon pied tout entier bougeait ! Mais était-ce efficace ? Je ne le saurais jamais, puisque je venais de reprendre la marche depuis quelques semaines… enfin, c'est l'intention qui compte !

Mon kiné m'avait également dit qu'un stagiaire se "ferait la main" sur moi ; je l'ai attendu jusqu'à mon départ…

Les chambres

Du premier au sixième étage, il y a principalement les chambres des patients ; environ 200, puisqu'il s'agit de chambres individuelles.
Tous les étages sont construits de manière quasi analogue ; il y a le local des infirmières, le local de pause du personnel de service (qui s'occupe du ménage et de la distribution des repas des patients mangeant dans leur chambre).
Le matin, tout le monde déjeune dans sa chambre ; il s'agit là d'une question pratique par rapport au restaurant, le petit déjeuner est en effet servi entre 7h15 et 7h45 …

Vers 7 heures donc, ces dames, puisque le personnel est exclusivement féminin, se chargent du réveil ; en effet, elles arpentent les couloirs avec des bols et des verres qui s'entrechoquent …et puis les femmes entre elles sont rarement silencieuses …
A partir du moment où elles avaient déposé le plateau dans votre chambre, vous aviez 30 minutes chrono pour manger !
Ensuite, il y a les soins thérapeutiques, plus ou moins longs selon les patients, et la toilette, qui dépend également des pathologies de chacun (qui peut donc être assistée par une aide-soignante).

Ensuite, la kinésithérapie, la principale occupation de la journée. Le gymnase est ouvert de 8h30 à 17 heures ; les patients peuvent donc s'organiser comme ils l'entendent pour venir pratiquer leurs exercices favoris !

A 12 h15 et 18h50 (c’est précis !), il y a le repas. Chacun y a sa place qui ne varie pas d'un bout à l'autre de son séjour. Cela peut faciliter les amitiés, voire plus si affinités, mais cela peut aussi devenir très gênant en cas d'incompatibilité d'humeur !

Vient ensuite le traditionnel café au salon, puis rebelote pour la kiné, le restant de la journée

Heureusement, quelques "évènements" viennent pimenter cette belle routine :
Il y a d'abord la visite hebdomadaire chez le médecin, je vous parlerai du mien dans un chapitre spécial, cela vaut le détour !
Ensuite, la vidéo, hebdomadaire elle aussi, le loto, mensuel, sans oublier les animations maison telles que le Scrabble géant ou des jeux de questions / réponses animés par notre charmante bibliothécaire, Christine !

J'ai précisé plus haut que cette journée type était valable les jours de semaine ; le week-end, il n'y a rien, à part les salons et la bibliothèque.

Comme à l'armée, beaucoup de personnes partent en "permission" (c'est le terme employé). La différence c'est qu'il ne faut pas la signature de l'adjudant chef, mais celle du médecin…Et attention, il faut donner sa demande à l'infirmière avant le mercredi soir, sinon, le week-end, c'est à Sancellemoz que vous le passiez !

Ah ! Le week-end au centre, il faut l'avoir vécu ; il n'y a pas de kiné, donc, la plupart des gens qui peuvent se déplacer sont partis. Ceux qui restent reçoivent des visites, il est donc difficile de trouver des gens avec qui discuter dans ces conditions. Toutefois cela se trouve quand même, car la solitude existe, quoi qu'en ai dit Gilbert Bécaud.

A Sancellemoz, une particularité fait que le premier week-end doit toujours être passé au centre; les mauvaises langues disent que c'est à cause du forfait journalier, qui est ainsi prolongé de deux jours. Pour une personne cela n'est pas grand chose, mais pour 200, cela commence à compter !

Le sixième étage, ou les soins déshumanisés

Lors de mon arrivée, je me suis vu attribuer un médecin, comme à tout patient, du reste…mais au "loto des toubibs", je n'ai vraiment pas gagné le gros lot ! Le mien est un grand sec, qui dit bonjour du bout des lèvres quand vous le croisez dans les couloirs. Mais comme il est ressenti de la même manière par tous ses patients, même les nouveaux (et même par le personnel soignant), cela doit être normal.

Quant au côté médical proprement dit, je vais vous en dire quelques mots…

Une quinzaine de jours après être arrivé, j'ai commencé à ressentir des mots de ventre et des diarrhées, dues sans aucun doute à la nourriture, riche en légumes cuits. Ce médecin m'a alors astreint pendant plus de quatre mois à un régime à base de féculents, et surtout, il m'a donné une foule de médicaments, qui, à la longue, se sont avérés dangereux pour mon système digestif; je vomissais presque après chaque repas.
A la suite d'une discussion avec un autre patient, j'ai décidé d'arrêter tous les médicaments. Tout est alors progressivement rentré dans l'ordre.

Quant à ce médecin, j'en étais à me demander s'il l'était vraiment, il ne soignait que l'affection pour laquelle vous étiez arrivé dans le centre…vous pouvez avoir mal où vous voulez, tant que cela ne dépend pas de votre affection première, cela n'est pas le problème de cet éminent thérapeute. J'ai eu, quant à moi, la chance d'être bien opéré. De ce fait, la rééducation a été facilitée, elle a suivi son cours, tout simplement, sans complication.

Malheureusement, tout le monde ne peut pas en dire autant ; j'ai eu l'occasion de côtoyer des personnes qui souffraient le martyre au quotidien et auxquelles ce médecin se contentait de dire "c'est normal", et de donner des médicaments qui se révélaient inefficaces. Ceci, dans un établissement qui a signé une convention contre la douleur…

Pour continuer dans le registre du personnel soignant, je me souviens des infirmières; elles apportent les médicaments sans une parole de trop, sans un mot gentil, quant à leurs soins, c'était la même chose. Je croyais qu'elles avaient un rôle social à jouer, j'ai dû me tromper…

De plus, les soins étaient relativement courts à cet étage, je dirai que les infirmières, comme les aides-soignantes de cet étage ne sont pas débordées, loin s'en faut ! Je pense qu'elles pourraient consacrer un peu plus de temps à leurs patients.

En ce qui concerne les aides-soignantes, comme je ne nécessitais pas de soin de leur part, elles m'ignoraient du mieux qu'elles le pouvaient. L'une d'elles à qui je disais bonjour un matin, m'a alors répondu RE(bonjour). Comme je lui répondais de ne pas avoir souvenir de l'avoir vu ce même jour, elle m'a alors rétorqué :
"Si, on s'est vu, hier…"
Bien sûr, pourquoi se dire bonjour quotidiennement, c'est fatiguant ! On devrait se dire bonjour une bonne fois pour tout le séjour, ce serait tellement plus simple, et puis, s'ignorer superbement au quotidien; mais pour cela, elles ne m'ont pas attendu…
Malgré tout, et après quatre mois d'hospitalisation, quand même, j'ai réussi à discuter avec chacune d'entre elles ; un véritable tour de force.
En ce qui concerne les médecins, ils sont tout aussi expansifs ; peut-être est-ce dû au fait que le directeur est également médecin ? Que dire également de son frère, directeur administratif, qui ignore superbement tous les patients qu'il a le malheur de croiser ?

Passons maintenant à un lieu beaucoup plus gai, facteur de rencontres et de socialisation dans l'établissement…

La bibliothèque

Au septième étage, se trouvent les chambres des stagiaires, et les appartements du personnel demeurant sur place. Il y a aussi l'urodynamique, des soins de rééducation spécifiques pour les personnes ayant des problèmes urinaires, par exemple, des problèmes post-accouchement.

Enfin, au bout du couloir principal, se trouve la bibliothèque, qui donne elle-même sur une vaste terrasse panoramique. C'est là que le week-end, la "jet set" de Sancellemoz se retrouve. Hormis de nombreux rayonnages de livres, comme dans toute bibliothèque, des jeux de société sont également proposés aux pensionnaires. Les jeux par équipe s'y déroulent également, ce qui facilite beaucoup les contacts entre participants.
Cependant, certaines personnes ne viennent là que pour discuter, par exemple les grands handicapés en fauteuil roulant. Ils sont souvent amenés par un membre de leur famille, parfois, plus rarement, par le personnel soignant. Cela favorise les contacts avec les patients ayant des affections ou des infirmités moins graves.
En présence de ces grands handicapés, il est facile de se regarder en face et de se dire: " il y a pire que moi !
C'est vrai, mais cela ne vous enlève pas votre propre douleur.
Certaines personnes, souvent moralisatrices, m'ont souvent dit : "tu as eu de la chance…" ou "estime-toi heureux…", j'en passe et des meilleures ! Ces personnes n'ont pas toutes fait un long séjour dans un hôpital, ou dans une maison de rééducation.

Mais, revenons à la bibliothèque…
C'est un endroit très prisé par les joueurs de belote, de loin les plus nombreux pendant mon séjour.
Le week-end, la bibliothèque se transforme souvent en centre de loisirs ; en effet, les familles des patients viennent souvent avec leurs enfants…
Quand il fait beau, elle se vide au profit de la grande terrasse panoramique, où l’on peut admirer la majeure partie de la chaîne du Mont Blanc. Ces exclamations, justifiées il est vrai, sont alors légion :

« C’est magnifique ! », ou, «C’est superbe ! », mais le comble cela a été tout de suite après : « C’est joli comme tout ! » ; il faudrait savoir…

Et puis, comme le Mont Blanc n’est qu’un prétexte à des retrouvailles familiales, chacun s’empresse bien vite de reprendre par le menu l’histoire de sa vie…comme partout

Conclusion

Malgré tous ses petits défauts, ce centre de rééducation a le mérite d'exister. j'ai été très heureux d'y séjourner, surtout durant les trois premiers mois où je ne me déplaçais qu'en fauteuil roulant.

Ce centre est en effet tout à fait adapté à la circulation des handicapés, ce qui n'est pas le cas partout, loin s'en faut. Le village où il est situé, le Plateau d'Assy, n'est quant à lui, pas du tout équipé !

Si vous voulez me contacter :

Tél: 06 19 53 88 66

E-mail: aubertpechon@hotmail.com